Tuesday 25 August 2009

Mode.: Interview de JPG "Le Luxe, C'est la Difference".

"Lorsqu'il est à Paris, Jean-Paul Gaultier passe son temps dans ses locaux noir et blanc de la rue Saint-Martin, l'ancien Palais des arts et de l'avenir du prolétariat.
Lorsqu'il est à Paris, Jean-Paul Gaultier passe son temps dans ses locaux noir et blanc de la rue Saint-Martin, l'ancien Palais des arts et de l'avenir du prolétariat. Il travaille sur les costumes du prochain spectacle de Mylène Farmer, et occupe toujours la plus haute marche du podium avec son parfum Le Mâle. Jean-Paul Gaultier répond sans détour à toutes les questions»...

Jean-Paul Gaultier nous a reçu dans ses superbes locaux de la rue Saint-Martin, à Paris, en face du musée des Arts et Métiers. Un escalier monumental, une incroyable hauteur sous plafond : nous voici dans le salon où sont conviées les clientes « couture » et les stars. Entre deux essayages, le créateur prend le temps de répondre à nos questions. Il est détendu, rieur, manifestement de bonne humeur. Bien que rétif aux nouvelles technologies - il ne sait toujours pas lire ni envoyer de SMS -, cet ancien gamin de banlieue fête les trente ans d'une mode toujours en phase avec son temps. Une mode qui n'a jamais «imposé une forme de beauté».

Le Figaro Magazine-Votre parfum Le Mâle est numéroun des ventes en Europe depuis neuf ans. Comment comprenez-vous cet engouement ?

Jean-Paul Gaultier- Difficile de répondre, car cela tient à beaucoup de choses, des petites comme des grandes. Le lancement publicitaire, qui a diffusé des images très viriles mais ambiguës, a certainement compté. Sûrement aussi, la fragrance de ce parfum, quelque chose d'un peu sucré comme il en existait déjà pour la femme, mais pas encore pour l'homme. C'est une façon de rendre hommage au paradoxe de l'homme, qui comporte toujours une part de féminité. J'avais suivi la même démarche lors de ma collection L'Homme-Objet, en 1983, quand j'avais mis des éléments féminins sur des corps très masculins.

Quel parfum portez-vous?

J'ai toujours eu un faible pour le Vétiver de Carven, qui me paraît plus facile et plus populaire que celui de Guerlain. En général, c'est en sentant un parfum sur quelqu'un que j'ai envie de le porter. Comme avec Giorgio Beverly Hills, que mettait Boy George, ou ce Tea Rose de Perfumers Workshop que j'ai senti sur une femme et que j'ai adopté sans complexe. Comme dans la mode, les notions de masculinité et de féminité dans le parfum ne sont pas claires.

Qu'est-ce qui fait évoluer l'attirance vers les parfums ?

Comme pour le reste, c'est la saturation qui provoque le changement. C'est toujours la réaction à ce qui est devenu trop commun, à ce qui est trop répandu. Pour cette raison, on peut dire que le luxe, c'est la différence. Par exemple, les parfums sucrés qui ont du succès en ce moment vont forcément arriver à saturation, ce qui entraînera un revirement. Mais, là aussi, comme dans la mode, cela ne se fait pas en une fois. On doit toujours s'inscrire dans la durée.

Votre rôle dans cette saturation ?

Je devrais anticiper. C'est comme les histoires d'amour, il ne faut pas qu'elles finissent, elles doivent évoluer. Trop de choux à la crème donne des envies de tarte aux pommes.

Pourquoi, selon vous, le milieu gay est-il précurseur en matière vestimentaire ?

A cause de la féminité des gays, et aussi parce qu'ils s'intéressent peut-être plus aux apparences que les autres hommes. Les homosexuels sont plus réceptifs à la nouveauté, mais, a contrario, ils rejettent les choses beaucoup plus rapidement. Et puis, il y a indéniablement le phénomène rock star, dont l'androgynie et l'exubérance servent sans doute de modèle. Une forme de liberté plus que de revendication, car la mode est une manière de s'intégrer tout en se distinguant.

Etes-vous provocateur ?

Ce n'est pas mon but. Je préfère correspondre à l'époque et à ses changements. On ne touche pas les gens avec des extravagances abstraites qui n'ont pas de signification. Cela devient une manière de se faire plaisir alors que notre travail est de traduire des envies, des besoins, des désirs.

Comment travaillez-vous ?

De manière très spontanée. J'ingurgite ce qui se passe autour de moi et je laisse les choses évoluer. Jusqu'à ce que ma perception se transforme, du fait de l'âge, par exemple. Dans ce métier, il faut curieusement être à la fois sûr de soi et ne pas l'être, en se disant que si l'on ressent quelque chose, d'autres doivent le ressentir aussi.

Etes-vous décalé ?

Le décalage que l'on peut ressentir par rapport aux autres favorise la création. Le fait de ne pas aimer ou de ne pas avoir envie de telle ou telle chose force à chercher autre chose. Si tout va trop bien, il n'y a pas de remise en question. Or, il en faut. Pourtant, quand on est styliste, designer ou couturier, on ne peut pas aller aussi loin qu'un artiste peintre. Il y a des limites au-delà desquelles on ne peut pas forcer le public. La mode est une industrie, même la couture. Nous sommes au service des gens. Nous ne pouvons donc pas être des kamikazes.

Est-ce une lourde charge ?

J'ai eu la chance de ne pas me rendre compte immédiatement de la responsabilité qui était la mienne. Avec Francis Menuge, nous avons commencé tout petits, nous faisions tout nous-mêmes. Mon appartement servait de studio. Quand j'ai fait ma première collection, je ne savais pas s'il y en aurait une deuxième.

Comment votre folie se marie-t-elle avec la sagesse du sellier Hermès ?

Pour être très honnête, je ne pense pas avoir jamais été fou. Je me suis lancé dans ce métier avec une bonne dose d'inconscience et j'y ai nagé du mieux que j'ai pu. J'ai toujours été convaincu qu'il n'y avait pas qu'un moyen d'accéder aux choses. Sans pour autant être un rebelle. Peut-on parler de rébellion dans la mode ?

Qu'est-ce qui vous a amené à ce métier ?

Je suis venu à la mode par la scène, le spectacle et les films. Les images que je vois restent gravées dans mon esprit et je les transforme. J'ai toujours aimé les émotions que procure le spectacle. S'il n'y avait pas eu de défilés, peut-être n'aurais-je pas fait ce métier. J'aime le vêtement pour lui-même, mais aussi pour ce qu'il incarne, pour ce qu'il représente. Mais je l'aime surtout porté, car il n'existe que quand quelqu'un le met.

Pourquoi la mode est-elle souvent présentée par des mannequins très androgynes ?

Tout se fait par réaction. Parfois c'est la virilité qui prime, parfois un côté plus ambigu. C'est un mouvement continuel de l'un à l'autre."



Source
DE THIERRY HEURE

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